Théorie Mimétique
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Le "mécanisme du bouc émissaire" à l'origine du langage

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Le "mécanisme du bouc émissaire" à l'origine du langage Empty Le "mécanisme du bouc émissaire" à l'origine du langage

Message  Martin Sam 2 Juil - 13:02

Un meurtre collectif unique, singulier, un phénomène de bouc émissaire unique à l'origine de l'humanité et du langage, ne s'est-il pas produit, un meurtre plus originel que ceux qui l'on suivi, plus « fondateur » aussi que ceux qui l'ont précédé chez l'animal ?

Sous l'influence de la Bible (Caïn et Abel) et du structuralisme, René Girard a d'abord eu tendance à penser que oui, il me semble. A l'origine de l'humanité et de l'émergence du langage, un meurtre fondateur originel, premier (le premier d'un nouveau genre, car le phénomène de bouc émissaire existe déjà chez l'animal, et le premier d'une longue série car le phénomène de de bouc émissaire ne s'éteint jamais chez l'être humain), était et reste concevable.

Mais sous l'influence des éthologues et des découvertes récentes concernant les chimpanzés, dans Les Origines de la Culture, René Girard envisage plutôt désormais « le mécanisme du bouc émissaire » comme le « moteur » de l'apparition du religieux archaïque et de la « symbolicité », comme le « moteur » de l'hominisation, sur de très longues périodes, et non plus comme un phénomène unique précisément daté, ou tout au moins datable. Il affirme ainsi, p. 150 : « Cette approche évolutionniste évite la rupture totale, postulée par l'hypothèse structuraliste et lui substitue un processus graduel qui atteint des niveaux de complexité de plus en plus grands ».

Cette évolution de René Girard pour prendre en compte les données éthologiques est importante et je vais donc, pour une fois, le citer abondamment. L'esprit scientifique a besoin de coller à la réalité alors que l'esprit religieux a tendance au contraire à la schématiser à l'excès. La conjonction des deux est rare.

Dans Les Origines de la Culture, p. 223, Girard dénonce un « travers métaphysique », une conception fausse, mythique, une conception trop philosophique ou religieuse, du passage de l'animal à l'être humain : « C'est pourquoi l'explication éthologique, en parallèle avec le travail anthropologique, est si importante. Soit nous croyons que l'évolution humaine se fait dans une continuité, soit nous tombons dans un travers métaphysique qui consiste à penser que les hommes et leur culture sont complètement séparés de la nature, qu'ils surgissent de nulle part, qu'aucun élément ou caractéristique ne vient de leurs ancêtres. Si l'homme est une espèce, il exprimera des pulsions mimétiques, réagira à la violence et à la crise de la même façon, à peu de chose près, que les autres espèces. Bien sûr, la divergence apparaît dans l'évolution vers les symboles et la culture, cependant toutes sortes de « restes » attestent de la commune origine de nos racines éthologiques et anthropologiques. »

« Continuité », donc, évolution par paliers (« niveaux de complexité de plus en plus grands »), plutôt que surgissement brutal et séparation complète. D'autres passages des Origines de la Culture confirment encore que c'est dans ce cadre évolutionniste et prenant en compte l'éthologie (l'étude du comportement animal), et non plus à partir du structuralisme ou de Caïn et Abel uniquement, que René Girard pense désormais l'émergence graduelle du langage, de la « symbolicité ».

Il affirme ainsi, p. 150 : « La vision que nous avons aujourd'hui des chimpanzés et des primates en général est un peu différente de celle qui avait cours au moment où j'ai écrit Des choses cachées. Aujourd'hui, on pense que, non seulement ces derniers utilisent des outils, mais aussi qu'ils chassent ensemble et, selon certains observateurs, possèdent même des rituels, ou du moins des ébauches de rituels. » P. 155 : « Il existe dans ces groupes des formes de violence collective. Certaines formes de chasse présentent également des aspects rituels. Des signes clairs rendent plausible le fait que le mécanisme du bouc émissaire soit apparu dans ces groupes. […] L'émergence d'une sphère symbolique doit s'expliquer, dans un cadre éthologique. C'est le fruit d'une combinaison d'instincts, dans laquelle on peut inclure la proto-conscience du meurtre d'un membre de la même espèce. » A propos des éthologues, il affirme, p. 153 : « Ils ne voient pas le saut fondamental (évitons le terme de « rupture ») entre la culture humaine et la culture animale, qui est effectivement déclenché par l'apparition de la sphère symbolique. » Et p. 154 : « Il est impossible de définir, d'isoler le moment précis où ce mécanisme [le mécanisme du bouc émissaire] intervient et où la culture émerge enfin. Il faut voir cela dans un cadre temporel de dizaines de milliers, peut-être de centaines de milliers, peut-être même de millions d'années. Dans cette longue histoire de la « découverte » du mécanisme victimaire, etc.»

Les chimpanzés pratiquent la chasse collective, le meurtre collectif, le cannibalisme, on le sait depuis peu (voir le sujet consacré à ces phénomènes et surtout les vidéos associées). Depuis ces découvertes, on ne peut plus penser l'émergence du langage comme « rupture » mais uniquement comme « saut fondamental » réalisé au cours d'une « longue histoire », sur une échelle de temps évolutionniste.

Envisager une scène primitive, un tout premier phénomène de bouc émissaire spécifiquement humain à l'origine du langage est saisissant, mais simpliste. Pour Girard, aujourd'hui, l'émergence de la sphère symbolique s'étale sur des milliers d'années et se développe donc à l'occasion de milliers de phénomènes de bouc émissaire dont les modalités spécifiquement humaines émergent par paliers à partir de leurs modalités animales. Un victime plus originelle que les autres n'existe pas car les primates aussi ont des victimes émissaires.

L'émergence de la « symbolicité » est un processus lent, dont « le mécanisme du bouc émissaire » est le « moteur ». La pensée de René Girard a évolué depuis Des choses cachées, pour intégrer les données éthologiques. L'apparition du langage n'a plus pour lui la soudaineté qu'elle pouvait avoir dans sa confrontation première, dans son débat, avec le structuralisme. Sa conception évolutionniste actuelle de la genèse de la « symbolicité » colle davantage, tout simplement, à la réalité.

Je vais essayer d'expliquer, dans un nouveau sujet, comment le mécanisme du bouc émissaire peut être pensé comme le moteur de l'hominisation, à travers le religieux archaïque, et comme le moteur également du développement de la « symbolicité ».

Martin
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