Théorie Mimétique
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment :
Aliexpress : codes promo valables sur tout le site
Voir le deal

Le logos, le nom à l'origine

Aller en bas

Le logos, le nom à l'origine Empty Le logos, le nom à l'origine

Message  Invité Dim 26 Juin - 18:53

Nous comprenons mal aujourd'hui l'importance du nom, du premier mot, du logos, du verbe.

Sans doute parce que les mots coulent à flots et que l'on ne se pose plus beaucoup de questions à leur propos. Ils ont la force de l'évidence, de l'habituel, du bruit de fond.

Et pourtant il y eut bien un premier mot sur lequel les hommes se sont mis d'accord ou se sont trouvés d'accord. Une évidence déjà, mais sans doute au sens qu'elle s'imposait violemment, et qui a constitué la première référence. On peut même penser que c'est l'élément constitutif du fameux "propre de l'homme" puisqu'aucun animal ne va plus loin que le cri qui induit tel ou tel comportement, la fuite par exemple. Puis la raison s'appuie sur les mots.

Cependant les anciens grecs s'interrogeaient à son propos. Ainsi Héraclite a écrit : « Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois. Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune expérience de paroles et de faits tels que je les expose, distinguant leur nature et disant comme ils sont. Mais les autres hommes ne s’aperçoivent pas plus de ce qu’ils font étant éveillés, qu’ils ne se souviennent de ce qu’ils ont fait en dormant. ».

Dans son hypothèse du bouc émissaire fondateur de la culture humaine, René Girard, suppose que ce premier mot est celui qui désigne son cadavre. René Girard imagine un chaos ayant pour origine notre nature mimétique qui nous fait désirer les mêmes choses et nous battre entre nous si nous ne les obtenons pas. Et dans ce chaos du chacun contre chacun, l'accord mimétique pour désigner un responsable de la crise qui nous le fait lyncher en choeur. Finalement, dans le saisissement cathartique de la résolution du chaos, le nom serait forgé la première fois ou repris du nom de la victime les fois suivantes.

A rapprocher ceci d'Héraclite, sans être certain qu'il s'agisse du même sujet, l'on peut avancer que le verbe n'est rien avant la chaos et que le mystère de sa genèse reste entier après lui car nous ne sommes plus à l'origine (où les mots auraient manqué) et que l'on ne peut plus que constater que le verbe précède le nom, celui du mort. Par ailleurs, si Héraclite affirme la véracité du verbe, il a l'air d'évoquer un moment d'incompréhension qui pourrait correspondre au chaos... alors qu'Héraclite aurait continué à penser en son sein. On peut relativiser cette dernière idée : l'expérience à laquelle Héraclite fait référence pourrait être celle de la guerre dont il dit qu'elle est "père de toute choses". La guerre comme image du chaos et producteur de mots n'est pas mauvaise mais ce n'est pas le chaos de la crise mimétique qui s'accompagne d'un effondrement de l'entendement comme de visions de monstres selon René Girard.

Il reste que les commencement de l'humanité auraient reposé sur les répétitions sacrificielles qui sont une institutionalisation du phénomène de bouc émissaire méconnaissant ses victimes fondatrices, ce qu'est le nom, en leur vouant de nouvelles victimes sacrificielles.

Bouc émissaire lui-même, Jésus que l'évangéliste Jean appelle logos/verbe, nous dit : "Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour condamner le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui echappe au jugement, celui qui ne veut pas croire est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu".

Pour le moins, on peut constater une similitude de vocabulaire. On parle de logos d'Héraclite et de logos johannique. De même, si l'on prend encore René Girard en compte, qu'une proposition cohérente est faite : croire au nom de Jésus afin de nous fait reposer sur un autre logos que sur celui d'Héraclite, dans la conscience de ce dernier, la victime des origines, et dans la fin du sacrifice de l'autre.

D'accord / pas d'accord ?

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Le logos, le nom à l'origine Empty Prosélytisme ?

Message  Martin Ven 8 Juil - 16:30

Les thèses que tu développes ici sont celle de René Girard jusque dans Des choses cachées depuis la fondation du monde. Elles absolutisent les différences entre l'homme et l'animal, ainsi qu'entre le grec et le chrétien comme Girard absolutisait alors la différence entre le sacrifice archaïque et le christianisme qu'il concevait comme entièrement "non sacrificiel" mais il est revenu explicitement là-dessus. Il a évolué aussi, depuis, sur les deux points que tu défends.

Ainsi, la scène originelle que tu décris est saisissante, mais simpliste. Mythique, même, si elle est pensée comme unique. C'est sous la double influence de Freud et du structuralisme que Girard la concevait ainsi, l'"imagin[ait]", comme tu dis, mais l'influence de l'éthologie a depuis fait évoluer son point de vue. Depuis Les Origines de la Culture, il prend en compte les comportements des chimpanzés et envisage désormais de façon darwinienne l'hominisation comme un processus dont le "mécanisme du bouc émissaire" serait le "moteur". Pour lui, aujourd'hui, l'émergence du langage (il parle plutôt désormais de "symbolicité") se fait à l'occasion d'une multitude de phénomènes de bouc émissaire (à partir du "mécanisme du bouc émissaire") qui éduquent nos ancêtres aux substitutions (d'une victime par une autre, notamment) et l'apprivoisent de la sorte à la "symbolicité" (les symboles sont aussi des substituts). Les modalités spécifiquement humaines du religieux archaïques et du langage émergent à partir de leurs modalités animales (voir "discussions et débats anthropologiques" sur ce même forum).

-------

Je pense comme toi, avec Girard, que les premiers mots qui comptent, qui se fixent dans les mémoires et qui deviennent de réels substituts, de vrais symboles, sont ceux qui apparaissent dans les lynchages, un peu comme tu le décris (non pas une fois cependant mais une multitude de fois).

Mais si c'est le cas, si ce sont vraiment les cris qui accompagnent le lynchage ou qui désignent les cadavres des victimes qui sont les premiers vrais "mots" religieux et sacrés, alors les chimpanzés, même s'ils ne sont que nos cousins, ont eux aussi franchi le seuil mimétique où démarre l'apparition du langage, donc l'hominisation, car leurs lynchages collectifs d'un congénère s'accompagnent de cris ! Ces cris que tu présentes comme les premiers "mots" de la violence et du sacré sont déjà présents chez eux ! Ils ne sont pas prononcés dans un silence religieux car le silence précède leurs attaques, mais ils accompagnent leur violence, et d'autres encore accompagnent la consommation par les chimpanzés des cadavres de leurs victimes ! Ils ont donc probablement eux aussi prononcé "le" mot originel que tu évoques, portant la marque de la violence et du sacré !

Si l'on ajoute à cela que les réseaux de dominance chez eux s'effondrent (les relations de pouvoir sont très instables et se soldent parfois par le meurtre collectif, par ses rivaux, du mâle dominant !), qu'ils chassent collectivement, que la guerre est en germe dans leurs comportements envers les autres groupes, on comprend que les observer c'est observer l'hominisation, ni plus ni moins : ils sont dedans, car même s'ils ne sont que nos cousins, ils ont franchi le seuil mimétique critique où leurs lynchages cannibales s'accompagnent de cris !

Et qui sait si dans une vie de chimpanzé, les cris qui accompagnent le deuxième meurtre collectif auquel il participe puis les suivants n'évoquent pas pour lui le premier meurtre collectif auquel il a participé, si la mémoire de ces choses n'est pas déjà en lui, si la violence intraspécifique n'est pas déjà quasi rituelle chez les chimpanzés ? Au niveau du groupe, cette mémoire est peut-être aussi déjà vivante : on peut se demander s'il n'y a pas chez eux par exemple des "hallalis", des appels au meurtre, des appels à la violence collective, fondés, déjà, sur les cris accompagnant le lynchage de victimes antérieures, s'il n'y a pas déjà des "cris", des "mots", un "langage" spécifique de la violence cannibale, donc du sacré, chez les chimpanzés !

Il faut revoir (et écouter !!!) ces vidéos impressionnantes où ils massacrent puis dévorent un congénère (dans "discussions et débats scientifiques"). Le premier "mot" que tu décris est sans doute déjà là, présent, au moins en germe, dans leurs cris !

-------

Autre évolution importante de René Girard : dans Des choses cachées, il opposait fermement logos d'Héraclite et logos johannique, logos grec et logos chrétien. Dans Achever Clausewitz, il les réconcilie, au contraire, au moins partiellement, sous la double influence de Hölderlin et de Benoît XVI.

-------

Enfin, au lieu d'opposer le "nom de Jésus" à celui de "la" victime originelle, il faut au contraire les identifier comme Jésus nous y invite en s'identifiant lui-même dans la parabole du jugement dernier au "plus petit d'entre les [s]iens." Devenu victime, Jésus s'identifie à toutes les victimes. Opposer le "nom" de Jésus à celui de n'importe quelle autre victime relève à mon avis de la méconnaissance plus que de la révélation.

Dans l'Evangile, d'ailleurs, le "logos", la "Parole", le "Verbe", n'est pas "le nom du Fils unique de Dieu" mais Jésus lui-même. De même la "Vérité". Le christianisme accorde plus d'importance aux personnes qu'au langage.

-------

Un reproche, pour finir : ton message semble fait tout entier pour amener une citation des évangiles qui, de la façon dont tu l'amènes, a toutes les apparences d'un chantage (elle ne laisse de choix qu'entre croire et être condamné, et ton message dans son ensemble présente le Christ comme le contraire absolu du logos grec). Ton intention est évidente : évangéliser. Souhaites-tu dès lors réellement dialoguer ou faire du prosélytisme ?

Benoît XVI dialogue avec la philosophie sur une base commune, celle de la raison : il admet une première inculturation du christianisme qui lui fait associer le logos grec et le logos chrétien, et c'est sur la base de cet intérêt commun pour la "raison" qu'il tente de démontrer que le christianisme est la "philosophie vraie".

Comment dialoguer authentiquement avec des amateurs de philosophie si on leur dénie dès le départ tout "logos" sérieux, si l'on ne conçoit de saine raison que dans le christianisme ? Seuls les chrétiens sont dans le vrai. Tu te conçois donc toi-même d'emblée comme très au-dessus de ceux à qui tu t'adresses. Quel dialogue espères-tu construire ?

J'aimerais que tu abandonnes ici ton souci - légitime sans doute - d'évangéliser, et que tu viennes simplement réfléchir, en chrétien puisque tu es chrétien, sur des sujets donnés. Que tu évangélises de façon indirecte, par la pertinence de tes observations et la justesse de ton attitude, plutôt que par des coups de force de ce genre.

Martin
Admin

Messages : 129
Date d'inscription : 17/06/2011

https://theoriemimetique.forumgratuit.org/

Revenir en haut Aller en bas

Le logos, le nom à l'origine Empty Origines animales de la violence, du sacré, et du langage

Message  Martin Mar 19 Juil - 17:55

René Girard ne conçoit plus une opposition aussi franche que par le passé entre l'homme et l'animal. A la fin de La violence et le sacré, il présente "le" meurtre fondateur comme origine à la fois relative et absolue : relative car à l'origine de chaque tradition sacrificielle, donc de chaque culture, ou de chaque culte, en milieu polythéiste, et absolue car à l'origine de l'humanité. Depuis, que ce soit dans Les origines de la culture ou dans cette interview audio de 2004 (vers la fin de la page) trouvée sur internet, il intègre les données de l'éthologie, de l'étude du comportement animal, en particulier des chimpanzés, et envisage plutôt sur la très longue durée, à l'échelle darwinienne, le passage de l'animal à l'homme et donc aussi l'apparition du langage, dont le "mécanisme du bouc émissaire" reste cependant pour lui le moteur.

Un meurtre unique, façon Caïn et Abel, est séduisant mais simplificateur. Séduisant car il peut servir de repoussoir. Il peut devenir une espèce de double monstrueux de la Passion et de la Croix. Il peut permettre de renvoyer vers la barbarie la plus barbare tout ce qui n'est pas parfaitement chrétien. Alors que le christianisme authentique renvoie le Mal uniquement vers la Croix. La Croix suffit : elle n'a pas besoin d'être dédoublée. Les violence cannibales des chimpanzés suffisent à prouver que l'humanité vient de comportements semblables aux leurs, qui apparaissent à partir d'un certain seuil mimétique. La théorie mimétique n'a plus besoin de réinventer "le" meurtre originel : il est directement observable chez nos cousins. Et il se produit chez eux non pas une seule fois seulement mais souvent. Sa répétition les éduque aux substitutions, donc à la symbolicité.

Rentrés bredouilles de la chasse au colobe, ils tuent un bébé chimpanzé et le dévorent dans un pré-rituel. La faim et la violence mêlées y trouvent un substitut. S'il y a des cris qui accompagnent ces violences, ils deviendront à la longue les premiers "mots". Attaquant un groupe adverse, ils tuent un "ennemi" et le mangent ensemble. La violence collective, matrice de la culture et du langage, est là encore observable. On retrouve d'ailleurs des comportements parfaitement semblables dans des groupes humains ethnologiques. L'un d'entre eux, le mâle dominant ou un autre, devient la cible de violences collectives au sein d'un groupe : c'est observé, observable, et on a là encore le mécanisme mimétique du bouc émissaire à l'œuvre, des tous contre un mimétiques, donc les débuts du langage qui compte et du sacré. Des femelles jalouses cherchent à tuer ou tuent le bébé d'une nouvelle venue dans le groupe. L'infanticide rituel est en germe aussi dans ces comportements, de même que tout le "langage" qui l'accompagne et en masque la violence chez les êtres humains. Pas la peine de chercher plus loin. Les découvertes de Jane Goodhall ou les rapprochements entre singes et hommes de Frans de Waal complètement avantageusement la théorie mimétique.


Dernière édition par Vincent le Mar 19 Juil - 19:16, édité 1 fois

Martin
Admin

Messages : 129
Date d'inscription : 17/06/2011

https://theoriemimetique.forumgratuit.org/

Revenir en haut Aller en bas

Le logos, le nom à l'origine Empty Logos des persécuteurs et logos bouc émissaire

Message  Martin Mar 19 Juil - 18:28

Je suis allé trop vite sur logos grec et logos chrétien, de même que sur "nom" de la première victime et "nom" du Christ. J'y reviens plus en détail.

La distinction radicale entre logos grec et logos chrétien me paraît mettre en rivalité mimétique le christianisme et la philosophie. Elle balaye, en particulier, saint Augustin et saint Thomas, "pères de l’Église", qui ont tenté la synthèse du christianisme avec la pensée de Platon pour l'un et avec la pensée d'Aristote pour l'autre. Je vois dans cette synthèse une première "inculturation", qui devrait atténuer un peu la virulence des adversaires farouches de toute "inculturation". Et c'est une première inculturation réussie, d'autant plus réussie qu'elle passe inaperçue : elle nourrit la pensée de Benoît XVI, notre pape actuel, et de ses prédécesseurs !

Benoît XVI identifie logos grec et logos chrétien. Ce sont pour lui deux noms de la "raison", ou plutôt, c'est le nom unique de la "raison". Et il défend la raison. Il me semble trop optimiste, cependant. Il associe à la raison le refus de la violence, or, le logos grec, le logos de la philosophie, ne refuse pas tant que ça la violence : la cité idéale de Platon, par exemple, est une aristocratie militaire, Aristote justifie l'esclavage, etc. Mais le logos grec est né dans la dénonciation d'une injustice, dans la dénonciation de la condamnation à mort de Socrate. La réhabilitation de Socrate par la philosophie naissante me semble fondatrice pour toute une tradition philosophie que cherche à limiter, malgré tout, la violence. Platon veut éloigner la violence des dieux grecs, la violence religieuse, et mettre un philosophe, donc la raison, au pouvoir, ce qui est censé protéger des injustices. Kant rectifiera et expliquera plus tard qu'un philosophe ne doit pas désirer le pouvoir car il "corrompt inévitablement l'usage de la raison". Mais le christianisme, le Catéchisme catholique en témoigne, admet aussi la possibilité de la violence comme dernier recours : légitime défense, peine de mort, guerre. La condamnation de Socrate est un phénomène de bouc émissaire partiel, qui n'implique qu'une partie de la communauté athénienne. La mort du Christ est au contraire un phénomène de bouc émissaire absolu : il est abandonné de tous. La philosophie admet la violence légale. Le christianisme ne refuse pas non plus totalement la violence. Il y a des similitudes entre le raison philosophique et la raison chrétienne. Le christianisme dévoile totalement le phénomène de bouc émissaire. Pas la philosophie. Mais ils se retrouvent dans leur tentative commune pour limiter la violence.

Inculturation réussie, mais inculturation particulière. Le christianisme, sous l'influence de la philosophie grecque, s'est intellectualisé. Penser prend du temps. Plus on développe de bonnes pensées, moins on a de temps, objectivement, pour développer de bonnes actions. Il me semble que d'autres synthèses, d'autres inculturations, sont possibles qui donneraient plus de poids à d'autres éléments recevables d'autres cultures : l'influence de l'Inde, par exemple, a produit mère Térésa ! La méditation, la prière qui prend en compte le corps, le souffle, une pensée unificatrice plus que différenciatrice, et davantage tournée vers l'action que vers les concepts, que vers la découpe des cheveux en quatre, voilà qui restituerait des éléments du christianisme originel tombés partiellement en désuétude, à mon avis. L'influence du judaïsme ou de l'Islam rendrait aussi au catholicisme le sens de la communauté, qu'il a très largement perdu. Je pense fondamentalement que le christianisme vient abolir ce qui doit être aboli des autres cultures (l'excision, etc.), mais aussi "accomplir" ce qui en elles doit être "accompli".

L'inculturation grecque a coloré le christianisme de trop d'intellectualisme. La pensée du Christ est unificatrice ("que tous soient un" ; les Focolari, par exemple, retiennent cette recherche d'unité), et Jésus s'identifie aux autres, en particulier au "plus petit d'entre les [s]iens". De même, La Trinité est identification et unité. La pensée rationnelle largement développée par les grecs est différenciatrice. Elle valorise le principe de non contradiction. Ça la rend très efficace sur le plan technique, mais faible sur le plan de la pensée du rapport entre les personnes, car l'empathie est, comme la Trinité, identification et unité : "tu as mal, j'ai mal ; te faire du mal à toi, c'est me faire du mal à moi". Une pensée différenciatrice pensera facilement les conflits, mais difficilement l'amour. L'Inde pourrait nous aider à mieux penser l'unité, ou d'autres traditions encore, ou bien la science avec la découverte récente des neurones miroirs, mais plus que tout bien sûr : l'Évangile.

Logos grec et logos chrétien : l'opposition n'est pas si radicale. Girard les oppose. Benoît XVI les identifie. La vérité est probablement entre les deux... Girard a su émettre des nuances sur le sacrifice, par exemple. Il rejoint Benoît XVI, trop vite, à mon avis, dans Achever Clausewitz, mais c'est un rectificatif intéressant. Ses premiers livres étaient très radicaux car proches de sa conversion. Les nuances qui ont suivi sont certainement le fruit d'un approfondissement de cette même conversion, plutôt que d'une trahison : aimer son prochain, même ses ennemis, conduit à des jugements nuancés.

La différence qui me paraît essentielle et à laquelle je tiens aussi, en revanche, est entre logos des persécuteurs et logos de la victime, ou logos expulsé.

Je n'identifie pas totalement désormais le logos des persécuteurs au logos grec. Benoît XVI et le dernier Girard m'en dissuadent, de même que saint Augustin et saint Thomas. Mais le logos grec en est traversé, c'est certain, de même d'ailleurs que le christianisme historique.

L'origine du logos des persécuteurs est évidente : elle est dans les hallalis, dans les appels au meurtre des chimpanzés, déjà, contre une victime de la même espèce, donc aussi probablement dans les appels au meurtre de nos ancêtres hominidés, puis des êtres humains, dans leurs flambées de violence sauvage comme dans leurs coutumes religieuses sacrificielles.

Le nom de la victime ou du cadavre, lui, est le nom même du Christ. C'est le logos expulsé, que la mémoire, cependant, retient. Tous les dieux, même les dieux grecs, sont des boucs émissaires sacralisés. Hölderlin n'a donc pas complètement tort de les associer au Christ, même s'ils sont aussi des dieux persécuteurs. "Dionysos contre le Crucifié", c'est Dionysos persécuteur contre le Christ. Mais "Dionysos et le Crucifié", formule de Nietzsche lorsque sa raison s'effondre, c'est Dionysos démembré reconnu comme identique au Christ crucifié. Il y a entre eux une évidente "équivalence au niveau du martyre" comme dit René Girard.

Le grec et le chrétien, à un certain niveau, se retrouvent. Réhabiliter Socrate ou comprendre avec Euripide que Dionysos est probablement d'abord un être humain sauvagement démembré, ou avec Sophocle qu'Œdipe était persécuté et en réalité innocent, c'est réhabiliter le Christ.

L'unité du logos grec et du logos chrétien se retrouve encore dans le nom même que la tradition occidentale a choisi pour désigner Dieu : étymologiquement, le mot "Dieu" viendrait du même mot que "Zeus", ni plus ni moins !

Absolutiser la différence entre le logos grec et le logos chrétien comme le fait le premier Girard est excessif : c'est faire trop peu de cas du pape actuel et des pères de l'Eglise. La différence que je veux maintenir avec toi, en revanche, Dominique, est entre le logos des persécuteurs et le logos des persécutés, le logos des victimes, le logos bouc émissaire.

C'est la différence originelle entre hallalis, appels au meurtre, hurlements des loups, cris de la meute, etc., qui deviendront rumeurs accusatrices, diabolisations, ou justifications religieuses, ou judiciaires, ou philosophiques et politiques avec par exemple Machiavel, justifications en tous genre, et cris de détresse, ou de souffrance, appels au secours, peut-être.

Réserver le logos des persécuteurs aux grec ou à la philosophie, c'est faire d'eux des boucs émissaires. Le christianisme historique en a été contaminé aussi, comme toutes les cultures humaines. Mais l'autre logos parle également, plus ou moins, dans chaque culture. Chaque culture refuse certaines formes de violence, s'éloigne des sacrifices humains et les remplace par le sacrifice animal, invente le droit, etc. Le christianisme vrai est l'accomplissement de tout cela, dont on retrouve des germes, au moins, partout.

Logos des persécuteurs contre logos bouc émissaire. Hallalis contre cris de détresse.

D'accord / pas d'accord ? :-)

Martin
Admin

Messages : 129
Date d'inscription : 17/06/2011

https://theoriemimetique.forumgratuit.org/

Revenir en haut Aller en bas

Le logos, le nom à l'origine Empty Re: Le logos, le nom à l'origine

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum