Théorie Mimétique
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Guerre et théorie mimétique

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Guerre et théorie mimétique Empty Guerre et théorie mimétique

Message  Martin Sam 9 Juil - 1:28

D'un point de vue mimétique, la guerre repose :

1) sur le phénomène de bouc émissaire à l'intérieur de chaque camp, car tous s'unissent contre "l'ennemi" (un singulier à valeur de pluriel) commun ; car la plupart (pas forcément tous ni toujours) diabolisent avant de les combattre les personnes du camp adverse (exemple récent : "Axe de Mal" contre "Grand Satan") ;

2) sur la rivalité mimétique (avec escalade mimétique de la violence, "montée aux extrêmes") entre deux camps (un contre un mimétique, donc, "duel", "réciprocité"), où la psychologie des dirigeants joue, il me semble, un rôle déterminant (exemple récent où la guerre heureusement n'a pas eu lieu mais où l'escalade a atteint des proportions inégalées : la course aux armements, le surarmement nucléaire, lors de la Guerre froide).

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La guerre a longtemps été une sorte d'impensé de l’œuvre de René Girard, non pas qu'il n'en ait pas eu dès le départ une conception mimétique et sacrificielle (c'est visible dès son premier livre, lorsqu'il parle de Proust), mais il ne lui consacrait jamais un chapitre, une étude séparée, peut-être parce qu'il a vécu sa jeunesse en période de guerre. Achever Clausewitz pourrait être, de ce point de vue-là, un "retour du refoulé", le dépassement d'un traumatisme initial. C'est un livre en tout cas d'une très grande érudition mais son asservissement à la figure de Clausewitz, qui lui sert de fil conducteur, fait qu'il n'aborde la guerre que sous l'angle de la "montée aux extrêmes", du "duel", de la "réciprocité" et jamais vraiment sous l'angle du phénomène de bouc émissaire (sauf en passant, à travers des exemples comme ceux de la conscription généralisée ou de la vision caricaturale des allemands par les français et des français par les allemands à l'époque de Clausewitz), d'un "double" phénomène de bouc émissaire, d'un phénomène de diabolisation réciproque, qu'elle est aussi. Ca rendrait (peut-être) son livre (un peu) moins pessimiste puisque depuis la Shoah, l'Occident résiste tant bien que mal à la tentation de mettre ses crises sur le dos de boucs émissaires, même si ce phénomène, malheureusement, fait dangereusement retour.

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Les chimpanzés organisent des raids, tuent et mangent les ennemis qu'ils ont tués. Généralement, à force égale, ils renoncent au combat. S'ils sont plus forts seulement, ils attaquent et tuent, collectivement, à plusieurs contre un. Les violences collectives au sein d'un même groupe (un mâle dominant est parfois tué par ses rivaux, un bébé chimpanzé est parfois tué puis dévoré) ont une structure très voisine. Les germes de la guerre et les germes du sacrifice sont identiques : tous contre un, cannibalisme.

On retrouve ces deux éléments dans des groupes humains où l'on tue et mange ses ennemis ou bien où l'on mange la victime d'un sacrifice humain. Guerre et sacrifice, ensuite, se différencient, la guerre devenant un combat groupe contre groupe où les "tous contre un" ont moins de place, les sacrifices humains s'adoucissant souvent en sacrifices animaux, mais ces évolutions ont lieu à partir d'un tronc commun. Guerre et sacrifice, d'ailleurs, se rencontrent souvent : des sacrifices humains ont été pratiqués avant les batailles et des guerres ont eu lieu pour fournir des victimes aux sacrifices humains. La guerre a toujours eu vraisemblablement une dimension religieuse, sacrée.

L'ennemi, cependant, n'est pas toujours diabolisé. Il est parfois respecté. La guerre a aussi une dimension de sacrifice de soi, plus proche du sacrifice chrétien, et pas uniquement de sacrifice d'autrui : le soldat prend des vies mais le plus souvent aussi il donne sa vie dans un esprit loyal de "sacrifice", pour une cause qu'il croit juste. La fraternité des soldats ne repose pas que sur la détestation unanime d'un ennemi commun, elle a aussi une dimension d'entraide, d'amitié sincère envers les compagnons d'armes, de solidarité viscérale, "à la vie à la mort", dans un contexte de tragédie, où meurent des amis, où chacun court le risque d'être blessé ou tué à son tour.

Sacrifice d'autrui et sacrifice de soi sont indissociables dans la guerre.

Les jeux de miroir (mimétiques) avec l'ennemi sont aussi très fréquents. L'ennemi est étudié de près, fascine. Ses techniques de combat sont décortiquées, parfois reproduites. Des phénomènes mimétiques surviennent dans les rangs : démoralisation ou encouragement, mouvements de panique ou ruées. Je ne peux qu'en oublier donc je m'arrête. Achever Clausewitz, en tout cas, ne fait pas le tour du problème. La guerre reste à penser en détail dans le cadre de la théorie mimétique.


Dernière édition par Vincent le Dim 10 Juil - 12:18, édité 1 fois

Martin
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Guerre et théorie mimétique Empty Michel Serres : la guerre comme meurtre des fils par les pères

Message  Martin Sam 9 Juil - 13:03

Une vidéo de Michel Serres, ami de René Girard, à l'occasion de la sortie de son livre La Guerre Mondiale :

Michel Serres est tellement plus accessible et passionnant à l'oral ! J'espère que cette vidéo restera longtemps en ligne.

Elle se termine par sa définition de la guerre que je l'avais déjà entendu donner à la radio : le meurtre des fils par les pères, l'infanticide, le sacrifice des fils. Les soldats sont très jeunes, les dirigeants très âges. La psychanalyse croit au parricide, au meurtre du père par les fils (et effectivement, le mâle dominant, le roi, le dirigeant, sont des cibles fréquentes de la violence collective), mais la guerre est exactement l'inverse et elle est beaucoup plus meurtrière.

Les dirigeant orchestrent souvent la guerre, canalisent le phénomène de bouc émissaire, pour ne pas être tués ! Cela fait immédiatement penser à Néron, accusé de l'incendie de Rome, qui détourne vers les chrétiens la vindicte populaire et organise leur massacre. L'art de la "défausse", de la manipulation du phénomène de bouc émissaire, par les dirigeants ou les rois, est très certainement à l'origine de bien des guerres, en plus des mobiles liés à la convoitise, à l'ambition.

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Guerre et théorie mimétique Empty Guerre et imitation

Message  Martin Mar 12 Juil - 22:15

Pour détendre l'atmosphère parce qu'il est question sur ce forum des chimpanzés, et dans ce sujet de la guerre, voici comment l'imitation peut engendrer la violence, comment se susciter, mimétiquement, un redoutable ennemi (en lui fournissant imprudemment une arme, en lui montrant comment s'en servir) :
Jolie métaphore de la contagion mimétique de la violence ! Vendre des armes, montrer comment on s'en sert, c'est risquer de les voir se retourner contre soi. Sœur Emmanuelle racontait que c'est probablement avec une arme française qu'au Liban, une petite fille qu'elle avait rencontrée et qu'elle se préparait à aider, a été tuée par un sniper.

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