Le "souci des victimes"

René Girard dénonce les dérives contemporaines du souci des victimes, mais la théorie mimétique est aussi de toute évidence un progrès décisif de ce même souci. Dans La route antique des hommes pervers, Girard intitule un chapitre où il parle du Dieu de la Bible : "Le Dieu des victimes". La TM réhabilite les boucs émissaires réels dont le lynchage a donné lieu aux mythes et aux sacrifices.

Certains intellectuels insistent après Girard sur la critique du souci des victimes, sur le sentimentalisme ambiant, sur la compassion triomphante qui débouche sur "des formes nouvelles de cruauté". Mais on peut aussi considérer les progrès contemporains de ce même souci.

Girard parle ironiquement de l'humanitarisme comme de l'"humanisme tari". J'y vois plutôt, au contraire, l'humanisme "accompli" : de l'intention on passe enfin aux actes ! Les humanitaires dénoncent eux-mêmes les dérives de l'humanitarisme (instrumentalisation par les États, blason redoré pour les militaires, arrogance occidentale, amateurisme de certains...) mais, pensé du point de vue des victimes, aucun effort, même maladroit, n'est totalement vain. L'engagement humanitaire est sans doute par certains côtés une mode pour les jeunes d'aujourd'hui, mais la racine n'en est pas un mimétisme arbitraire : cet engagement répond surtout à une quête de sens, de solidarité, etc. Il est une critique implicite de l'inaction, de la compassion qui n'est que compassion, de la pleurnicherie bavarde devant l'actualité, de l'intellectualisme complaisant.

La TM peut conduire à la foi chrétienne mais elle peut conduire aussi à s'impliquer davantage dans le soutien concret apporté à des victimes concrètes.

Quels progrès pratiques peut-elle déterminer dans le "souci des victimes" ?

Quelques pistes, que j'entrevois :

La TM peut aider à éviter de tomber dans certains écueils, dans une charité caricaturale, "romantique", par exemple.

Elle peut aider à améliorer le fonctionnement des associations caritatives ou humanitaires, comme de toute organisation, en contribuant à prévenir les conflits internes, les phénomènes de boucs émissaires, les emballements, etc.

Elle peut mettre en lumière le côté remarquable de certaines formes de secours : je pense en particulier aux phénomènes de "tous pour un", reflets inversés des "tous contre un" mimétiques.

Elle conduit à une attention particulière envers les "souffre-douleur", à étudier les mécanismes de leur exclusion, leurs réactions, le cercle vicieux qui les entraîne souvent à réagir toujours plus mal à des brimades toujours croissantes, et aux moyens éventuels de briser ce cercle, de le remplacer par un cercle vertueux, par des actions de soutien psychologique et de médiation.

Elle met en évidence l'intérêt du "coaching", de l'"accompagnement" actif des personnes en difficulté, et des actions de "médiation" dans les conflits, car les souffrances psychologiques individuelles sont souvent l'effet, en réalité, de rapports de "doubles".

Etc.

Bref, la TM a des choses à apporter à l'action concrète animée par un "souci des victimes" intelligent et honnête.

D'autres idées ? D'autres exemples ?