Education et théorie mimétique

Maîtrise du désir, prévention ou sortie de la violence, la théorie mimétique peut s'appliquer aux questions éducatives et fournir des pistes à partir de l'anthropologie qu'elle développe.

Dans le cadre familial, d'abord, René Girard indique qu'il y aurait tout un éloge de la famille à faire à partir de la théorie mimétique. Il part de sa propre expérience, souligne que les étudiants sont en concurrence avec leurs camarades et qu'il n'y a donc qu'avec leur père qu'ils peuvent parler de leurs succès et le père en est heureux, évidemment ! L'environnement familial est d'abord et avant tout protecteur, même s'il est menacé lui aussi par la contagion de la violence extérieure ou bien par l'emballement des jalousies ou des rivalités internes. Les parents sont des modèles mais ils font tout pour ne pas devenir en même temps des obstacles pour leurs propres enfants. Ils cherchent au contraire à lever les obstacles que leurs enfants pourraient rencontrer, à les éveiller au monde extérieur, à les préparer à voler de leurs propres ailes, et, plus tard encore, ils sont là comme soutien, comme secours, puis comme grands-parents. Les familles décomposées existent, de même que les névroses familiales, mais lorsque la famille joue son rôle, elle est protectrice, éducatrice, d'abord et avant tout. Malgré les divergences de pensée entre parents et enfants, la famille est normalement le cadre d'un amour inconditionnel que l'on retrouve très rarement ailleurs, même là où l'amour est largement proclamé, parce qu'entre le proclamer et le vivre, il y a le plus souvent un monde, tant est grande la distance entre la tête et le cœur.

Dans le cadre scolaire, si les cours sont normalement le lieu de la bonne imitation, où les modèles adultes jouent à plein leur rôle éducatif, la "cour de récré" en revanche, est traversée de désirs et de rivalités innombrables, et, par le jeu de phénomènes mimétiques, certains enfants ou jeunes deviennent les boucs émissaires, les souffre-douleur de leurs camarades. Les enfants dont les modèles familiaux sont éloignés des modèles scolaires sont plus facilement en échec scolaire. Les enfants ou les jeunes entraînés par d'autres, mimétiquement, dans la délinquance, dans le rejet des modèles familiaux et scolaires, ou simplement les enfant ou les jeunes désespérés par leurs échecs accumulés, développent une contre-imitation, en viennent à désirer le contraire de ce que la plupart désirent, et développent ainsi des comportements destructeurs et autodestructeurs. Tous ces phénomènes ont en commun d'être des spirales relationnelles, des emballements mimétiques que l'on peut tenter de prévenir ou d'interrompre en s'efforçant de remplacer les cercles vicieux relationnels par des cercles vertueux. Là encore, la théorie mimétique met en valeur le rôle des bons modèles dans ce passage, des individus, des personnes, des adultes et de leur capacité à susciter un nouveau départ, une contagion positive, à communiquer confiance en soi, motivation et enthousiasme.

Pour René Girard, il y a deux modèles ultimes, Satan et le Christ. La bonne éducation est-elle nécessairement religieuse ? En surface, non, je suppose. En profondeur, au contraire, oui, qu'on le veuille ou non, car nos comportements les meilleurs sont pour lui déterminés par l'influence méconnue du judéo-chrétien dans notre monde, notre "souci des victimes" y trouvant sa véritable origine. L'empathie a une racine biologique évidente dans les neurones miroirs et est présente chez les primates mais les phénomènes mimétiques négatifs la recouvrent largement dans la plupart des cultures. Le judéo-chrétien n'invente pas l'empathie, l'amour du prochain, mais les libère, les universalise, en fait un devoir de chacun envers chacun, de tout être humain envers tout être humain.

Comment se déclinent bons et mauvais modèles dans l'éducation et comment lutter efficacement contre la violence à l'école ? Ce sont les deux problématiques principales que la théorie mimétique met en évidence et qu'elle développe déjà à travers les travaux de Marie-Louise Martinez, du père Jean-Marie Petitclerc ou à travers l'action et la réflexion de Daniel Lance. D'autres problématiques sont possibles comme la discussion qu'effectue Olivier Maurel du recours par les parents aux châtiments corporels. J'espère n'avoir rien oublié d'essentiel. Si vraiment, comme l'affirme René Girard, tout désir est "désir d'être", c'est ce désir que l'éducation a pour mission non pas d'éteindre, mais de canaliser, d'orienter, dans des directions constructives. Pour illustrer ce dernier point et pour finir, je voudrais proposer une chanson de Lynda Lemay. J'aime les œuvres ayant une valeur testamentaire, elles sont concises et vont à l'essentiel. La chanson qui suit prend, de plus, la forme d'une prière, ce qui ne gâte rien, bien au contraire :