Phénomènes de harcèlement et de souffre-douleur

Dans le contexte scolaire, les boucs émissaires ne sont ni violemment expulsés ni tués. Ils subissent donc des brimades prolongées, des violences physiques ou psychologiques répétées qui occasionnent des souffrances pouvant conduire au repli sur soi, à l'échec scolaire et parfois même à des actes désespérés tournés contre autrui ou contre soi. On parle de souffre-douleur. Le terme indique bien le fait que les agresseurs détournent d'eux-mêmes une "douleur" qu'ils pourraient éprouver et dont ils se "déchargent" sur autrui. Le phénomène de souffre-douleur est donc un phénomène sacrificiel, il est sous-tendu par le mécanisme du bouc émissaire et la victime y apparaît comme substituée à soi-même, elle reçoit une "douleur" dont on ne parvient pas à se défaire autrement, ou dont on ne sait pas se défaire autrement. Même si le phénomène de bouc émissaire peut être parfaitement gratuit, survenir par le simple jeu de mécanismes mimétiques (où la victime est substituée plutôt à des rivaux), ceux qui font du mal à autrui sont souvent aussi eux-mêmes en souffrance, en situation d'échec, et trouvent uniquement dans la violence qu'ils exercent un succédané de réussite. Faire du mal collectivement à autrui, c'est aussi assurer la cohésion d'un groupe et s'assurer que la violence ne tombera pas sur soi. Désamorcer un phénomène de souffre-douleur réclame donc un travail au niveau des individus mais aussi au niveau du groupe lui-même, qui devrait pouvoir exister dans un projet positif ou dans des jeux moins malsains.

Ceux qui étudient ces phénomènes relèvent que les souffre-douleur ont souvent une "psychologie" particulière. A partir de la théorie mimétique, on peut trouver deux raisons à cela, le plus souvent combinées. D'abord, le phénomène de bouc émissaire vise plus facilement des individus qui à la base se démarquent d'une manière ou d'une autre : infirmité, caractéristiques physiques comme la corpulence ou la maigreur, façon de parler comme le bégaiement, façon de s'habiller, caractéristiques sociologiques comme le fait d'être étranger ou issu d'un autre milieu, etc., mais aussi caractéristiques psychologiques, comme le fait d'être doué pour les études, ou bien d'être au contraire très mauvais à l'école, ou replié sur soi, ou trop extraverti, etc. Se démarquer expose à la violence. Certains traits psychologiques nous distinguent des autres et donc aimantent l'agressivité. Ensuite, le phénomène de souffre-douleur est un phénomène de bouc émissaire qui ne va pas jusqu'aux formes de violence les plus extrêmes. Le souffre-douleur est donc fréquemment en relation avec ceux qui le harcèlent, parfois pendant des années. C'est la source d'un cercle vicieux relationnel : plus le souffre-douleur est maltraité, plus il réagit mal, plus sa "psychologie" évolue défavorablement, plus ce qu'on lui reproche s'aggrave, du fait même qu'en le lui reprochant, on essentialise ses défauts, on les lui donne constamment en "modèle à imiter", on le bloque dans son évolution ; et plus il réagit mal, plus il est détesté, plus le phénomène de bouc émissaire à son égard se renforce, plus ceux qui le harcèlent trouvent fondées les brimades qu'ils lui infligent, et plus elles s'accentuent. La "psychologie" d'un être humain n'est pas figée, elle peut évoluer selon le contexte, selon la qualité ou les défauts de son environnement humain. Casser le cercle vicieux entre la façon dont les autres nous perçoivent, si elle est négative, et ce que nous devenons, est essentiel.

Voici deux reportages qui témoignent de la prise en compte contemporaine des phénomènes de souffre-douleur et qui ébauchent des pistes pour y remédier, comme le changement de milieu, l'inclusion dans un groupe de jeunes confrontés à des problèmes similaires, une socialisation qui leur permette de s'épanouir, tout simplement (ce qui ne doit pas exclure, bien au contraire, une intervention et une action également auprès des agresseurs) :
Le mot "calvaire" montre bien ce que la Passion du Christ a de révélateur et d'emblématique par rapport aux phénomènes de violences collectives quels qu'ils soient.