Ambiance de fin du monde et de guerre civile

Une ambiance, c'est un phénomène mimétique. Le rire est contagieux, le bâillement l'est aussi, de même que l'indignation ou la colère, etc. Quand on arrive dans un lieu animé, on est facilement "pris par l'ambiance", elle déteint presque automatiquement sur nous, non pas par un pouvoir étrange qu'elle aurait de nous influencer mais bien parce que c'est nous, le plus naturellement du monde, qui imitons.

Nous connaissons de nos jours en France, j'ai l'impression, une ambiance, qui monte, de fin du monde, d'une part, et de guerre civile, d'autre part. Nous vivons depuis le premier choc pétrolier environ, en 1974, dans une crise économique, dont les principaux symptômes sont le chômage et la précarité, et dont les conséquences spirituelles sont immenses. Au lieu de rechercher des solutions nous recherchons des coupables : toutes les institutions sont mises en accusation, la police, l'enseignement, la justice, l’État, etc. Du fait de la mondialisation des échanges économiques et de l'emballement des spéculations financières, de plus en plus déconnectées de la réalité, nous sommes en permanence menacés par une aggravation de notre situation. Nous le sentons bien, et comme la peur est mobile, elle se déplace chez certains vers des objets irrationnels, vers la peur des complots en tous genres ou vers la crainte d'une invasion musulmane. La situation dans les banlieues s'aggrave et crée une situation explosive. L'ambiance actuelle tourne également à l'ambiance de guerre civile. Deux camps semblent se dessiner et chacun paraît se préparer mentalement à affronter l'autre. Tous cela est extrêmement malsain et est symptôme de crise.

Quand la tentation disparaît de chercher des coupables, en réalité le plus souvent des boucs émissaires, on est enfin en mesure de se mettre en quête de vraies solutions. L'intelligence ne manque pas en France comme en Occident. Le plus grand gaspillage qui soit au monde n'est peut-être pas celui des ressources de la planète mais bien le gaspillage de matière grise. Que d'intelligence dépensée en pure perte pour des futilités incroyables, dans les jeux vidéos par exemple. Ou bien pour concevoir, fabriquer, vendre, des objets toujours plus inutiles les uns que les autres. Si l'on détournait quelques bataillons de cette armée de cerveaux pour penser les problèmes actuels, ils seraient rapidement résolus, probablement. Ce qui manque en France, ce n'est pas la capacité à résoudre les problèmes, c'est la volonté !

Face au chômage, par exemple, on attend tout des aléas des la croissance. On a pour seul remède de la soutenir, même si ça n'entame le taux de chômage que de façon très marginale, très superficielle. Il suffirait que l'on veuille réellement résoudre ce problème comme on veut réellement gagner une guerre pour qu'il soit rapidement résolu. Pour une guerre, cependant, on consent à quelques sacrifices. Pour une crise économique, en revanche, personne apparemment n'y consent. D'où le statu quo actuel, qui fait le lit d'une évidente "montée aux extrêmes" de la psychose collective, ce qui se traduit notamment par cette double ambiance dont je parle, de fin du monde et de guerre civile.

Renoncer aux boucs émissaires, c'est chercher enfin de vrais remèdes, de vraies solutions. Mettez une grenouille dans une casserole d'eau bouillante : elle donne un coup de pattes salvateur et s'en extrait immédiatement. Mettez une grenouille dans de l'eau froide et faites-la progressivement bouillir : la grenouille n'a pas le réflexe de s'extraire brusquement de l'eau et meurt. Nous ressemblons, face à la crise économique et à ses symptômes à la deuxième grenouille. Notre façon de mourir sera peut-être de laisser s'emballer le phénomène de bouc émissaire qui portera un candidat extrémiste au pouvoir. Ce n'est pas encore possible actuellement mais que se passerait-il si un nouveau coup de massue économique venait à précipiter les choses ? Ce n'est pas impensable vu l'incontrôlabilité des marchés, l'endettement du pays, etc.

Nous sommes condamnés à mettre fin à la situation délétère actuelle, à la "fracture sociale", ou à voir l'"ambiance" en France se dégrader encore, mimétiquement, mais sur la base d'une souffrance réelle. Dans un autre sujet, j'ai défendu une solution bouc émissaire que je crois bonne, le partage du travail à travers les 32 heures, qui a déjà fait ses preuves dans de nombreuses entreprises françaises depuis des années sans que personne ou presque soit au courant. Mais si certains y demeurent allergiques, qu'ils proposent à leur tour de vrais remèdes pour combattre efficacement le chômage et la précarité, et des remèdes efficaces à court terme, pas à long terme où l'incertitude est trop grande. Le vrai respect des Droits de l'Homme est à ce prix. Chacun devrait avoir un droit opposable à un travail décent. Que ce problème soit résolu ou en passe de l'être et c'est l'un des principaux verrous de la crise actuelle qui sauterait, à mon avis. Ça ne résoudrait pas tout, c'est certain, d'autres verrous existent, mais mettre enfin pour de bon tout le monde au travail assainirait considérablement l'ambiance actuelle. Les esprits seraient moins échauffés, contre l'école, contre les étrangers, contre les hommes politiques et contre tout. Il y aurait d'autres combats, mais moins virulents, je pense.

La France est un grand et beau pays et je ne supporte pas, je ne supporte plus, de la voir gâché, défiguré, enlaidi par trop de souffrances et par une crise endémique, économique à la base, spirituelle aussi puisque la société de consommation y est pour beaucoup, qui empoisonne maintenant même les esprits. Pour tout ce qui concerne l'organisation de la société : si nous voulons, nous pouvons. Si nous ne pouvons pas, c'est que nous ne voulons pas. Mais pour stopper l'emballement toujours possible de la dégradation actuelle du climat, de l'ambiance en France, dans le sens du désespoir et de la violence, affronter collectivement les problèmes et les résoudre n'est plus une possibilité mais un devoir.