Obélix et Compagnie, de Goscinny et Uderzo

René Goscinny, scénariste des albums d'Astérix et Obélix, avait pour seule ambition de nous faire rire. Il était cependant, comme tous les grands comiques, une véritable éponge mimétique, à l'affut de nos travers, qu'il caricaturait.

Dans Obélix et Compagnie, c'est le monde des affaires et de l'économie qu'il représente. Il y repère des mécanismes mimétiques, des emballements mimétiques, qu'il dépeint avec beaucoup de justesse et d'humour.

Dans cet album, le projet de César et d'un jeune romain sorti d'une grande école est de rendre les gaulois décadents en les enrichissants. Le jeune romain, avec l'accord de César, propose à Obélix de lui acheter ses menhirs et en réclame toujours plus. Obélix se laisse influencer et adopte le langage des hommes d'affaires que le jeune romain lui enseigne. Sur ses conseils, il change également d'apparence et adopte une tenue ridicule mais qui est un signe ostentatoire de richesse. Son enrichissement soudain suscite l'envie des autres membres du village et grâce à Panoramix, le druide, ils peuvent imiter Obélix et produire comme lui des menhirs, s'habiller et parler comme lui.

Dans le monde romain, la vente des menhirs est assurée par la promotion de ce nouveau produit de consommation dans les arènes romaines. Goscinny voit juste : les hommes et les femmes désirent d'abord et avant tout "ce qui rend jaloux les voisins".

Devant l'emballement mimétique de la demande sous l'effet de la publicité, tous le producteurs du monde antique, romains, égyptiens, etc. se mettent à produire des menhirs qu'ils promeuvent par des campagnes d'affichage. A l'emballement mimétique de la demande succède l'emballement mimétique de la production. La production devient alors si forte qu'elle finit par excéder la demande, de sorte que le prix du menhir s'effondre. Le monde romain devient le cadre d'une crise économique qui est aussi une crise mimétique caricaturée avec brio par Goscinny et Uderzo.

Ce que dépeint l'album, c'est le cycle de vie d'un produit mais ce sont aussi, plus profondément, les ressorts mimétiques d'une crise de surproduction, d'une crise économique. Même si ce n'est pas son ambition, Obélix et Compagnie est un véritable manuel d'économie mimétique. Il donne à voir une bulle suivie d'un krash non pas boursier mais industriel.

Les mécanismes boursiers (bulles, krashs) ont été étudiés à partir de la théorie mimétique, la publicité également, mais pas l'économie dans son ensemble, le tissu industriel et commercial. Or les producteurs, tout comme leurs clients, sont des êtres humains, très mimétiques, d'autant plus mimétiques qu'il sont en concurrence, en rivalité mimétique les uns avec les autres et ce sont leurs emballements mimétiques qui permettent d'expliquer la crise de surproduction de tout dans laquelle nous sommes aujourd'hui plongés.

A la fin d'Obélix et Compagnie, Obélix renonce à la concurrence, au déguisement, au jargon et revient à la raison, à l'amitié avec Astérix que jusque là il dénigrait. J'y vois une illustration d'un retour à la "sobriété heureuse" prônée par Pierre Rabhi. Puissent nos hommes d'affaires, nos politiques, regarder un jour, enfin, dans cette direction-là et s'inspirer de cette conclusion heureuse imaginée par Goscinny.

Dans Obélix et Compagnie, le désir suscité par le jeune romain, manipulateur, est celui de devenir "L'homme le plus important du village, car le plus riche". On peut voir là un écho à La Zizanie où Tullius Détritus jouait sur le désir d'être "l'homme le plus important du village" pour semer la discorde. La première place n'est pas  partageable et fait donc, de facto, de ceux qui y prétendent des rivaux, rivalité envieuse dans La Zizanie, concurrence économique dans Obélix et Compagnie.