Théorie Mimétique
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Principe du sacrifice dans la nature et athéisme

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Message  Martin Dim 17 Juil - 14:23

René Girard écrit, au début d'Achever Clausewitz (p. 10) : "Des millions de victimes innocentes ont ainsi été immolées depuis l'aube de l'humanité pour permettre à leurs congénères de vivre ensemble ; ou plutôt de ne pas s'autodétruire. Telle est la logique implacable du sacré, que les mythes dissimulent de moins en moins, au fur et à mesure que l'homme prend conscience de lui-même. Le moment décisif de cette évolution est constitué par la révélation chrétienne, sorte d'expiation divine où Dieu en son Fils demanderait pardon aux hommes de leur avoir révélé si tard les mécanismes de leur violence. Les rites les avaient lentement éduqués, les hommes allaient dorénavant devoir s'en passer."

L'idée que Dieu puisse avoir à nous demander pardon est certainement une "façon de parler" mais elle ne me choque pas : Girard relève, en parlant de la parabole du grain de sénévé ou en parlant de Darwin que le principe sacrificiel est inscrit dans la nature. Dans Les Origines de la Culture, par exemple, il affirme à propos de Darwin, p. 144 : "Sa théorie présente la nature comme une machine supersacrificielle. [...] Elle participe de la découverte moderne du sacrifice comme fondement, non pas de la culture humaine cette fois, mais de l'ordre naturel." René Girard n'en parle pas spécialement (il mentionne « la mort » sans plus de précision) mais dans la nature, la prédation est partout, la souffrance, aussi. C'est le sens, je pense, de la formule de l'abbé Pierre qui explique que, pour lui, "Dieu est Amour... quand même." Quel abîme dans ce quand même ! Toutes les victimes de toujours, humaines et animales, tout ce qui dans la Création semble si souvent contraire à l'Amour – pour qui s'intéresse un tant soit peu aux victimes – est là, contenu dans cette réserve, dans ces deux mots ; et que René Girard y soit sensible parle plutôt, pour moi, en sa faveur. Le comportement des chimpanzés en atteste : passé un certain seul mimétique, la violence devient banale, monnaie courante, intraspécifique et cannibale, repoussante. La Création, pensée comme œuvre d'Amour, est un mystère !...

La pensée de Girard s'approche là dangereusement de la formule de l'athéisme Stendhal : « La seul excuse de Dieu, c'est qu'il n'existe pas. » Il faut être insensible pour ne pas voir que, oui, Dieu a comme besoin d'excuses, de pardon. Si la Création est chemin vers Dieu, ce n'est pas que par sa poésie ou ses merveilles, c'est aussi parce qu'elle regorge de victimes, y compris humaines ! Jésus théorise la non-assistance à personne en danger dans la parabole du bon samaritain. Comment ne pas penser parfois que Dieu en est perpétuellement coupable, s'il n'est pas Lui-même, pire encore, l'origine des sinistres naturels, maladies ou catastrophes, qui nous tombent aveuglément dessus ? Certains événements, certaines souffrances, certaines tortures ne viennent pas des hommes mais de "l'ordre naturel", et nous donnent à penser que Dieu, qui, s'il ne les commande pas directement, les a au moins rendues possibles, et pourrait les empêcher, qu'il est donc sadique ou bien indifférent, ou bien, plus simplement encore, qu'Il n'existe tout simplement pas. La souveraine indifférence, l'indifférence aveugle (apparente ?) de l'Univers envers nous ne plaide pas en faveur de la foi. Il y a de la place pour l'Amour dans l'Univers mais le présenter comme l'œuvre d'un parfait Amour paraît de plus en plus dément à la conscience commune, à l'heure de la télévision et d'internet, où nous pouvons voir comme jamais les catastrophes et explorer un peu la médecine.

Dieu nous tue tous, ou du moins nous laisse tous mourir et pire encore, souffrir (maladies chroniques, souffrances psychologiques, souffrances invisibles indicibles, éternelle « vallée de larmes »). Un bémol s'impose cependant : Jésus guérissait, il a même transmis ce pouvoir à ses disciples envoyés deux par deux, dans l'Évangile, l'Église enseigne qu'il y a encore des miracles, pour la canonisation des saints, par exemple, et Jésus a ressuscité des morts, nous allons tous ressusciter ! Jésus bouc émissaire : nous n'en avons pas voulu, nous avons préféré que notre demeure nous soit laissée, et bien, elle nous est laissée ! Curieuse réaction de la part de Dieu mais bon. On voit parfois Jésus réagir mimétiquement dans l'Évangile : "vous ne me dites pas" ceci, et bien "moi non plus, je ne vous dis pas" cela. Dieu, s'Il existe, nous aide encore indirectement : à travers toutes les personnes de bonne volonté, ouvertes à l'amour du prochain, à l'empathie, qui nous viennent éventuellement en aide. "L'Esprit souffle où il veut" : l'amour vrai, ne nous vient pas toujours d'où on pouvait l'attendre, il vient parfois d'un "bon samaritain" (les pharisiens méprisaient les samaritains et Jésus donne pourtant le comportement de l'un d'entre eux en exemple) !

Mais tant de souffrances demeurent...

Si l'on ne compte que les maladies chroniques, invisibles mais torturantes, combien en souffrent ? Sont-elles toutes imputables aux hommes, à une mauvaise hygiène de vie, à la pollution ? Avant les antibiotiques, combien mouraient ? Et à quel âge ? Et quand ils ne seront plus efficaces, bientôt, probablement, combien mourront ? Nous serons coupables, c'est certain, mais Dieu aussi !...

Le sacrifice comme fondement de l'ordre naturel ! C'est un pensée très haute, proche de l'Inde ancienne qui applaudit au Sacrifice mais inspirée plutôt chez René Girard par le souci chrétien des victimes. Dieu ne fait plus peur, d'une part, dans un contexte chrétien, et la Création apparaît dans l'actualité comme nous donnant la vie et nous la retirant avec une même désinvolture, comme nous faisant tous victimes, même, puisque nous mourons tous, mais surtout comme indifférente aux souffrances qui durent, indifférente à tout. Deux sources de l'athéisme : Dieu ne fait plus peur et le souci des victimes révèle la cruauté de son absence. Le souci des victimes, qui vient de Dieu, se retourne facilement contre la foi : trop de souffrances et Dieu paraît absent, inexistant. Thérèse de Lisieux ne doute pas tant qu'elle ne souffre pas elle-même, mais elle doute profondément dès qu'elle souffre. Mère Térésa ne doute pas tant qu'elle ne côtoie pas quotidiennement la souffrance mais dès que c'est le cas, ce sont pour elle cinquante ans de "nuit de la foi". Le chrétien qui ne souffre pas et ne fait rien pour personne, dont l'empathie est nulle, ne doute pas : c'est "la foi des démons" dont parle Fabrice Hadjadj. Mais le chrétien qui souffre ou le chrétien compatissant et au contact de la détresse humaine rencontre en lui la question de l'athéisme.

La relation à Dieu, la prière implorante change le cœur de celui qui prie et la ferveur, donc l'efficacité, de son action, ce qui n'est déjà pas si mal, elle développe aussi son altruisme. Mais l'intervention divine, on a beau la réclamer, l'implorer, elle ne vient pas, ou très rarement. Combien de prières inexaucées, de souffrances sans remède ?

La Création étant ce qu'elle est, le "silence" de Dieu étant ce qu'il est, pour moi, le vrai débat est avec l'athéisme. Le christianisme est tellement "mieux" que n'importe quelle autre religion (quand il est réellement vécu, ce qui est rare) ! Mais entre le "bien" (le "mieux") et le "vrai", il y a de la marge. On ne juge pas du "bien" et du "vrai" selon les mêmes critères. Le christianisme a beau être insurpassable, la perle rare, est-il "vrai" pour autant ? Mystère, mystère, mystère... Triple mystère pour un Dieu trois fois saint.

La raison, à travers la théorie mimétique, conduit aux portes de la foi, mais la raison aussi, à travers le souci des victimes, l'univers visible étant ce qu'il est, "supersacrificiel", et l'univers invisible nous demeurant inaccessible, détourne aussi de la foi. La foi est un saut dans un inconnu qui n'a rien de tranquille. Si elle s'accompagne d'une vraie intelligence, d'une vraie sensibilité, elle ne peut pas condamner tranquillement l'athéisme. Pour une raison qui ne se laisse pas totalement endoctriner, il se peut que Dieu existe, mais il se peut aussi qu'il n'existe pas. La foi tranquille de René Girard vient d'une existence elle-même tranquille. La maladie l'a épargné, il ne vit pas non plus comme mère Térésa environné de souffrance. Je ne veux pas reconduire un christianisme doloriste mais il y a, je pense, un rapport mystérieux entre foi et souffrance. Sans la possibilité d'abîmes de souffrances, il n'y aurait pas de sommets dans l'Amour. Ça n'excuse rien, nous devons pardonner à Dieu ce qui nous révolte dans la Création, mais la possibilité de l'Amour, peut-être, est à ce prix.

Martin
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