Théorie Mimétique
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Philosophie et théorie mimétique

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Philosophie et théorie mimétique Empty Philosophie et théorie mimétique

Message  Martin Jeu 14 Juil - 14:54

Comment situer la théorie mimétique par rapport à la philosophie ?

La théorie mimétique est une anthropologie, elle relève des sciences humaines. René Girard ne prétend pas être philosophe mais "anthropologue du religieux". La philosophie peut donc légitimement faire l'épistémologie de la théorie mimétique : elle s'inscrit dans l'histoire de la connaissance. René Girard explique par exemple que Freud était sur la voie de la découverte du rôle du mécanisme du bouc émissaire dans la genèse de la culture avec son idée de meurtre fondateur, qu'il a eu tort de ramener au seul "meurtre du père". La théorie mimétique sait faire justice aux travaux antérieurs qui ont permis son élaboration : travaux ethnologiques, grandes œuvres littéraires. Elle met en valeur la pensée de Hobbes qui avait vu que les désir convergents des hommes en font des ennemis, ce qui aboutit à la guerre de tous contre tous, à la guerre de chacun contre chacun. Il manque à Hobbes l'ingrédient mimétique et la résolution sacrificielle des crises mais son Leviathan possède des attributs étranges du sacré, la pensée rationnelle de Hobbes "retrouve" au niveau cette fois de l'intuition des thèmes mythiques pour penser la liaison de la violence et du pouvoir. Ensuite, la théorie mimétique apporte des connaissances qui changent notre vision de l'être humain. Elle conçoit les rapports humains comme extrêmement mobiles, toujours susceptibles de s'emballer, à partir des liens mimétiques qui unissent les hommes entre eux. L'identité même des hommes fluctue pour elle au gré des modèles qu'ils se donnent, ce qu'ils possèdent tous en commun étant l'imitation et leur "désir d'être". Elle apporte aussi l'une de ces "humiliations" dont parlait Freud (apportées selon lui par Copernic, Darwin et lui-même) : elle présente en effet l'homme comme plus "mimétique", plus imitateur, que le plus mimétique des animaux ! Enfin, en mettant en évidence le rôle méconnu de l'imitation dans de nombreux comportement humains, elle discrédite certains d'entre eux. "Mimétique" veut dire "imitatif" mais aussi, plus discrètement, parfois, "absurde". Nos désirs qui ne sont que mimétiques sont souvent les plus violents mais ils sont aussi les plus vains, de même pour nos rivalités mimétiques, ou pour les tous contre un mimétiques. La théorie mimétique ne s'attarde pas sur les sentiments qui accompagnent ces phénomènes : elle étudie plutôt leur dynamique, leur enchaînement, leur évolution, et en révèle le caractère mimétique, donc arbitraire. Elle n'apporte pas directement une éthique mais l'éthique peut y trouver matière à réflexion car elle met en évidence les obstacles psychosociaux que l'imitation oppose à l'exercice naturel de l'empathie, qui est elle-même un phénomène mimétique. La même imitation est à l'origine de la violence et de l'empathie. L'empathie est plus originelle mais l'être humain est menacé par sa nature même. La racine du mal est en lui et c'est la même, paradoxalement, que celle du bien.

La théorie mimétique réalise également, de toute évidence, certaines ambitions de la philosophie.

La philosophie commence avec Platon et Socrate, et il est frappant de constater qu'aux origines de la philosophie, on trouve aussi une pensée de l'imitation, conçue comme dangereuse d'une part, et d'autre part comme une réalité métaphysique (le monde sensible étant pour Platon l'imitation, la copie, du monde des Idées). La théorie mimétique permet de comprendre la méfiance de Platon envers l'imitation et de remettre à l'endroit sa métaphysique : ce sont bien sûr nos idées qui sont des copiées sur le monde réel et non l'inverse, mais elles sont copiées plus encore sur celles des autres. Penser, même "penser par soi-même", c'est, très largement, imiter. Ma pensée, ici, "imite" pour beaucoup celle de René Girard et chacun a ses propres modèles qu'il respecte ou trahit, qu'il combine avec d'autres, pour réaliser enfin, éventuellement, sa propre synthèse. A l'origine de la philosophie, ensuite, on trouve aussi un phénomène de bouc émissaire, moins absolu certes que celui qui aboutit à la crucifixion du Christ, un phénomène de bouc émissaire seulement "partiel", donc, mais néanmoins réel, qui aboutit à une injustice, à la mort de Socrate, diabolisé et condamné par une majorité d'Athéniens. Les circonstances de la mort de Socrate sont moins révélatrices que celles de la mort du Christ, l'enseignement de Socrate n'est pas non plus celui du Christ, mais c'est quand même sur la contestation d'une injustice majeure que s'inaugure la philosophie, ce qui rapproche encore les débuts de la philosophie de la théorie mimétique. Cela donne une impression de retour à l'origine de la philosophie grecque de la part de Girard, et ainsi d'un achèvement, peut-être, de la philosophie, d'autant plus impressionnant qu'il serait involontaire, car il ne se réclame, lui, que du judéo-chrétien, bien qu'il possède les outils de la rationalité grecque.

Kant résumait les grandes interrogations de la philosophie en trois questions : "Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ?" La théorie mimétique accroit notre savoir dans le domaine des sciences humaines, donne des pistes dans le domaine de l'action en mettant par exemple en avant le "souci des victimes" comme contraire au phénomène de bouc émissaire, et elle réveille l'espérance chrétienne en reconnaissant que le savoir qu'elle apporte vient du christianisme, est déjà présent dans l’Évangile. Kant conclut que la question qui résume la quête philosophique est : "Qu'est-ce que l'homme ?" Si c'est vraiment là l'objet principal de la philosophie, la théorie mimétique, qui se présente comme une anthropologie, répond à cette ambition avec une pertinence nouvelle, en se réclamant non pas de la philosophie mais de la science, en se fondant non pas sur des concepts abstraits mais sur l'observation de phénomènes dont la base est biologique et dont les conséquences individuelles et sociales sont souvent observables. Elle répond imparfaitement aux trois premières questions (le domaine du savoir est plus vaste que celui qu'étudie la théorie mimétique, en ce qui concerne l'éthique, elle ne dit rien directement même si, indirectement, elle donne des pistes, et elle ne développe pas elle-même la théologie chrétienne) mais avec précision au contraire à la dernière, de façon réductrice, certes, mais efficace, en ramenant la plupart des comportements humains à leur base commune : l'imitation.

Je suis frappé aussi de voir comment la pensée de Nietzsche et celle de Girard se répondent. A une pensée de l'Antéchrist ne pouvait que succéder un jour ou l'autre une pensée chrétienne qui la contredise et remette à l'endroit ce qu'elle met à l'envers en prétendant par exemple "inverser toutes les valeurs". Girard le fait, cependant, sur la base d'une anthropologie qui n'a pas besoin de recourir directement au religieux pour se déployer et pour se dire, qui n'a besoin que d'étudier les phénomènes mimétiques, dont le mécanisme du bouc émissaire, particulièrement révélateur. Nietzsche choisit Dionysos contre "le Crucifié", il choisit la violence contre la révélation de la violence, il en arrive à des idées et à des textes atroces, à l'issue d'un parcours qui le mène lui-même vers la folie : éloge du système des castes, en Inde, et mépris partagé des "intouchables", des "tchandalas", applaudissement, donc, au phénomène de bouc émissaire devenu structure sociale et tentative de le réactiver contre les prêtres ; morale eugéniste "à l'usage des médecins" fondée sur son principe aussi autodestructeur que destructeur, "Périssent les faibles et les ratés : premier principe de notre amour du prochain" ; etc. Les nazis trouveront là directement leur nourriture mais les nietzschéens modernes ne le voient littéralement pas. L'anthropologie mimétique, au contraire, permet de mettre à jour le vrai rapport de Nietzsche au phénomène de bouc émissaire : celui d'une acceptation folle.

La philosophie me semble à bien des égards du religieux dévoyé, mais ce n'est qu'un avis personnel. Avant le christianisme, elle me paraît un effort louable pour sortir du religieux archaïque, et après le christianisme, un effort contestable, au contraire, pour lui échapper. Il y a bien eu cependant une philosophie chrétienne, une première inculturation du christianisme en quelque sorte, dans la culture grecque. Avec Hölderlin et Benoît XVI, dans Achever Clausewitz, René Girard retrouve cette possibilité-là, qu'il excluait dans Des choses cachées. La base commune du christianisme et de la philosophie est ou devrait être la raison, qui exclut la violence, le contraire de Machiavel. Je trouve personnellement le christianisme actuel trop "grec", trop verbeux, pas assez incarné. J'aimerais que la proportion s'inverse entre intellectuels chrétiens et chrétiens engagés dans l'action. Ce que la théorie mimétique révèle, cependant, c'est que la raison peut conduire aux portes de la foi. A côté des bonnes raisons de ne pas croire, partout développées, il existe aussi de bonnes raisons de croire, qu'elle développe. Libre à chacun, ensuite, de croire ou de ne pas croire, mais un procès équitable doit être instruit à charge et à décharge, or, le procès de la foi est le plus souvent instruit à charge uniquement, ce qui montre bien que le phénomène de bouc émissaire est à l’œuvre contre elle. S'il est vrai que le procès de Socrate aurait mérité d'être revu, peut-être celui de la foi devrait-il l'être aussi ?

Martin
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