Terrorisme et théorie mimétique

Le terrorisme a été pensé, à partir de la théorie mimétique, en s'appuyant sur les notions de ressentiment, de sacrifice, de catharsis, mais ces approches, si intéressantes soient-elles, me semblent manquer deux des motivations principales des terroristes. Pour connaître les vraies motivations des terroristes, il suffit d'écouter attentivement les enregistrements que nous avons de leurs discours.

Quand on les écoute attentivement, on observe qu'ils évoquent comme motivation principale de leurs actes la vengeance. La vengeance est un phénomène mimétique : c'est faire à l'adversaire pareil ou pire que ce qu'il nous a fait. "On a vengé le prophète Mohammed" criaient les auteurs des attentats de Charlie Hebdo. Le terroriste de l'hyper casher évoquait, lui, la loi du Talion, en représailles des victimes des occidentaux. La vengeance exercée sur des innocents pour venger d'autres victimes innocentes, civiles, suppose, c'est vrai, un fort ressentiment.

Pourquoi la vengeance est-elle absente de la plupart des analyses du terrorisme alors qu'elle est présente dans la bouche même des terroristes ? C'est probablement parce que sa prise en compte oblige à se pencher sur notre politique étrangère, sur nos propres violences.

Un autre impensé des attentats terroristes est le lien qu'ils entretiennent avec la guerre. Les attentats terroristes visent des victimes innocentes, nous voyons donc facilement leur lien avec le phénomène de bouc émissaire mais pas le lien qu'ils entretiennent avec la vengeance guerrière : ils vengent les victimes innocentes des bombardements occidentaux, ils sont le double mimétique de ces bombardements.

La guerre, c'est le sacrifice d'autrui mais c'est aussi le sacrifice de soi, le risque de mourir au combat. En situation de guerre asymétrique, de guerre entre le fort et le faible, on a parfois recours à des moyens extrêmes. Le Japon a envoyé des kamikazes contre les navires américains quand la guerre tournait en sa défaveur. L'attentat suicide, l'attentat kamikaze, est une radicalisation du sacrifice de soi exigé par la guerre : au lieu d'une mort possible on y accepte une mort certaine. Les terroristes se voient eux-mêmes comme des combattants, comme des guerriers, prêts à mourir les armes à la main ou bien en emportant avec eux le plus possible de victimes ennemies. Il n'y a pas eu entre eux et nous de déclaration de guerre mais ils sont avec nous, que nous le voulions ou non, dans une logique guerrière. L'attentat suicide, c'est de la guerre, radicalisée.

Vengeance guerrière, c'est la logique redoutable des attentats terroristes, y compris des attentats suicides. Même si le lien avec la religion est évident (Talion, djihad), les vraies causes du terrorisme sont géopolitiques. Le ressentiment social y joue également un rôle visible quand on explore le parcours de vie des terroristes.

Je n'ai pas assez insisté sur le ressentiment comme piste possible pour expliquer le terrorisme. René Girard l'a fait, de même que d'éminents girardiens comme Benoît Chantre. Je suis d'accord avec eux là-dessus. Il y a ce dont les terroristes parlent : la vengeance, la guerre. Il y a ce dont ils ne parlent pas : leur ressentiment extrême envers l'Occident. La vengeance qui vise des innocents suppose un ressentiment extrême ; la radicalisation du sacrifice de soi guerrier dans l'attentat suicide également.

J'ai parlé en outre du parcours de vie et du ressentiment social en pensant principalement au tueur de l'hyper casher qui a visé des policiers probablement parce que, quand il était plus jeune, l'un de ses camarades serait mort suite à une intervention policière. Chez lui, terrorisme politico-religieux et vengeance personnelle étaient liés.

Vengeance, guerre radicalisée et ressentiment extrême sont les trois éléments d'explication à privilégier, il me semble, pour bien comprendre les terroristes.