Sexualité et théorie mimétique

"Sexualité et théorie mimétique" : vaste sujet. Je ne prétends pas faire le tour de la question mais uniquement apporter des éléments de réflexion qui me paraissent intéressants.

Je ne crois pas, tout d'abord, que le désir sexuel soit à 100% mimétique. Les hormones font leur travail à l'adolescence et déterminent des comportements nécessaires à la survie de l'espèce. Il me semble cependant que le désir sexuel a une composante mimétique qu'il peut être intéressant d'analyser. La pression sociale joue un rôle, par exemple, dans nos comportements amoureux. Il est un âge où il est presque obligatoire de sortir avec une fille ou un garçon pour échanger des baisers. Il est un âge ensuite où il devient presque obligatoire de coucher avec un membre de l'autre sexe. Rester "puceau" est mal vu, mal considéré. Qui n'imite pas devient bouc émissaire, objet de moqueries.

Le sentiment amoureux est naturel à l'être humain mais le genre de personnes que l'on désire peut être plus ou moins fortement influencé par la société, les films, les réseaux sociaux ou par notre entourage. Observons que le désir fonde les couples mais qu'il est aussi ce qui parfois les sépare, quand l'un des deux conjoints trompe l'autre par exemple. Le désir brise aussi parfois des amitiés homme-femme quand l'un des deux avoue à l'autre ses sentiments. Les comportements d'évitement qui suivent peuvent s'avérer cruels. S'appuyer sur le désir rend les relations humaines instables. Mieux vaut s'appuyer sur l'amour plutôt que sur les caprices du désir.

Nos fantasmes sont certainement la part la plus mimétique de la sexualité. Pour la plupart, nous ne les inventons pas, nous les empruntons. Les contenus érotiques ne manquent pas dans notre société hypersexualisée, dans des articles, des émissions, des films, dans la pornographie. Au lieu de nous demander s'il est bon ou pas de les réaliser, nous devrions nous demander s'il ne vaudrait pas mieux, tout simplement, y renoncer.

Une autre piste de réflexion intéressante est l'analogie que l'on peut établir entre sexualité et sacrifice. Le désir sexuel est, comme la violence, une force difficile à maîtriser. Désir sexuel et violence peuvent d'ailleurs parfaitement se combiner comme c'est le cas par exemple dans le viol. L'association du viol et de la guerre est fréquente et le viol a même pu être utilisé délibérément comme arme de guerre. Le sacrifice repose sur le principe de substitution d'une victime à une autre, d'une victime choisie à une victime antérieure (le phénomène de bouc émissaire étant à l'origine des sacrifices) et d'une victime choisie à nos rivaux du moment (le phénomène de bouc émissaire étant également la structure des sacrifices). Le désir sexuel est également capable de pareilles substitutions qui déterminent des déviances sexuelles : au sacrifice animal peut correspondre la zoophilie ; aux sacrifices d'enfants, la pédophilie. Les déviances sexuelles sont liées à la frustration sexuelle et vont vers des objets de substitution qui ne peuvent pas se venger, vers les plus faibles.

"L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veux que qui veut faire l'ange fait la bête" écrivait Blaise Pascal. Le célibat des prêtres catholiques les rend plus disponibles mais n'est pas sans contreparties négatives, sans risques. Chez quelques-uns, la frustration sexuelle est telle qu'elle détermine des pensées coupables et des passages à l'acte dévastateurs. J'ai observé que bon nombre de fondateurs de communautés ont été impliqués dans des scandales sexuels. Je les appelle des fondateurs prédateurs. Le mâle alpha chez les chimpanzés s'attribue les femelles du groupe. Bon nombre de fondateurs ont de pareils comportements. Mieux vaut éduquer les futurs prêtres en leur exposant la difficulté qu'il peut y avoir à rester maître de soi plutôt que de leur faire croire que c'est facile, que l'asexualité serait la règle et la sexualité l'exception alors que c'est le contraire qui est vrai.

L'orgasme ressemble également à la violence : c'est au paroxysme d'une crise que surviennent phénomène de bouc émissaire ou sacrifice ; c'est également au paroxysme d'un rapport sexuel que l'orgasme survient. Comme l'assouvissement de la violence, un rapport sexuel peut être réconciliateur. Les amants s'aiment mais ils pimentent parfois leur vie sexuelle en mimant la brutalité, la violence.

Une autre analogie intéressante est celle que l'on peut établir entre pornographie et jeux vidéos violents. Des jeux vidéos violents on peut se demander s'ils sont essentiellement mimétiques (fournissant des modèles violents) ou bien sacrificiels (assouvissement de la violence). Ils sont de toute évidence bien plus sacrificiels que mimétiques car ils ne sont pas ou très peu imités, sans doute parce que le spectacle de la violence inclut le spectacle de la souffrance, ce qui dissuade l'imitation. La même question est possible pour la pornographie : est-elle plutôt mimétique ou plutôt "sacrificielle" (assouvissement du désir sexuel) ? Elle est le plus souvent liée à la masturbation donc il y a bien assouvissement mais le spectacle n'y est pas celui de la souffrance mais bien plutôt du plaisir, réel ou simulé, ce qui encourage l'imitation. Elle est donc beaucoup plus imitée que les jeux vidéos violents. Sous son influence, certaines pratiques sexuelles se démocratisent, deviennent presque obligatoires. Les couples parfois en souffrent : la violence du désir, des fantasmes, peut conduire au harcèlement, au non respect absolu du consentement du conjoint.

L'analogie entre désir sexuel et violence est riche d'enseignements. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas une bonne sexualité, une sexualité épanouie, libérée des caprices du désir, expression de l'amour entre deux êtres. Cela veut dire simplement qu'il est difficile d'y parvenir dans une société hypersexualisée comme la nôtre, qui multiplie les tentations.