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Erreur judiciaire et phénomène de bouc émissaire

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Erreur judiciaire et phénomène de bouc émissaire Empty Erreur judiciaire et phénomène de bouc émissaire

Message  Martin Jeu 21 Juil - 15:25

La justice n'a le choix, à ma connaissance, qu'entre déclarer un accusé coupable ou innocent. Le manque de preuve, le non-lieu, renvoie vers l'innocence. Mais la réalité est autre : les résultats d'une enquête rendent plutôt plus ou moins "probable" la culpabilité de l'accusé. Les présomptions peuvent être fortes ou faibles. Entre coupable et innocent, il y a un tiers exclu : tout le domaine du probable.

Pour un délit sans gravité, les personnes en charge d'un procès ne rechigneront pas à renoncer à des poursuites par manque de preuves. Pour un crime grave, en revanche, on rechignera plus volontiers, et légitimement dans une logique de gestion du risque, à laisser repartir un accusé que tout accable mais dont la culpabilité n'est pas prouvée. Plus le crime est grave, donc, plus le contexte est propice à l'erreur judiciaire. La crainte de laisser repartir un individu potentiellement dangereux influence l'"intime conviction" dans un sens contraire à la présomption d'innocence. Une forte présomption de culpabilité dans un crime grave deviendra facilement un verdict accusatoire. A plus forte raison dans un univers comme le nôtre où la pression mimétique des médias s'exerce dans ce sens.

Le phénomène de bouc émissaire se sert de cette faille du système judiciaire : entre culpabilité et innocence, il ne reconnaît aucun moyen terme. Tout le travail du mécanisme du bouc émissaire sera donc de faire basculer l'intime conviction des jurés, à partir d'une forte présomption, dans le sens de la proclamation d'une culpabilité établie. C'est une loterie : si l'accusé est coupable, comme cela semble probable bien que ce ne soit pas certain, justice sera faite, s'il est innocent, ce sera une erreur judiciaire, mais comme les probabilités penchent en faveur d'un verdict équitable, on ferme facilement les yeux devant ce risque, parce qu'il paraît faible comparé au danger de laisser repartir un coupable, donc un individu potentiellement dangereux. Les jurés courent le risque de l'erreur judiciaire pour ne pas courir le risque de laisser repartir un dangereux criminel. Dans une logique de gestion du risque, on les comprend, mais dans une logique de parfaite justice, il est bien évident qu'ils ont tort, puisque cela suscite régulièrement la pire des injustices : "le juste mis au rang des assassins", par exemple, comme dit la chanson.

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Refuser que le système judiciaire donne prise au phénomène de bouc émissaire devrait conduire à chercher à refermer cette faille entre culpabilité et innocence, un peu comme un informaticien élabore des mises à jour pour empêcher les virus informatiques de contaminer les ordinateurs, le virus à repousser étant ici celui de la violence. Que donnerait la prise en compte du probable, du degré de présomption dans le cours de la justice ?

Cette prise en compte existe déjà dans la détention préventive. Elle est critiquée car elle va contre la présomption d'innocence, mais elle est maintenue par réalisme, car elle va dans le sens également d'une gestion rationnelle du risque, dans le sens de la mission de la justice de protection de tous, et pas seulement de l'accusé : mieux vaut risquer de maintenir en détention provisoire un innocent que de risquer de laisser courir un dangereux criminel. C'est une porte ouverte sans doute à de très graves abus, mais c'est avant tout un moyen de protéger les citoyens.

La détention préventive est traumatisante pour un innocent mais moins cependant que l'erreur judiciaire pure et simple, car elle n'ajoute pas la condamnation définitive à l'incarcération, elle reconnaît qu'elle n'est fondée que sur des probabilités de dangerosité, que sur de fortes présomptions, et non sur une preuve qui reste encore à établir.

La détention préventive ne survient de nos jours qu'en amont d'un procès. Pourrait-t-on en faire une possibilité également à l'issue d'un procès qui n'aboutirait qu'à une forte présomption de culpabilité et non à une preuve définitive ? On pourrait l'imaginer. On pourrait imaginer des prisons dorées dédiées à des individus dont la culpabilité ne serait pas fermement établie mais pour des crimes si graves qu'il paraîtrait beaucoup trop dangereux de les laisser dehors. Des incarcérations qui ne confondent pas culpabilité établie et forte présomption, qui évitent donc le risque d'un verdict erroné, mais des incarcérations quand même, au nom de la protection des citoyens, au nom du principe de précaution en quelque sorte. Il y aurait des erreurs judiciaires, des innocents en prison, mais dans des demi-prisons et pour des demi-accusations. On ne confondrait plus quelques innocents avec de purs coupables, et on ne les traiterait plus comme tels, on tiendrait compte au contraire de l'incertitude et des degrés d'incertitude, de probabilité, dans le verdict rendu. On parlerait, pourquoi pas, de "coupables présumé", de "peine intermédiaire", de "peine de précaution", quelque chose comme ça.

Les dérives possibles d'un tel système seraient immenses : on incarcèrerait plus facilement, on s'embarrasserait moins d'enquêtes fouillées, et quelques innocents passeraient encore dans la case des purs coupables, ce qui rendrait plus douloureuse encore l'injustice qui leur est faite. Un tel système a vu le jour, d'ailleurs, mais pas dans des prisons dorées où les détenus seraient mieux traités que ceux dont la culpabilité est fermement établie, ni dans l'intention d'éviter l'erreur judiciaire, mais au nom uniquement de la protection des citoyens : une dérive monstrueuse de la détention préventive s'est déjà incarnée en effet à Guantanamo.

Présomption d'innocence et devoir de protection s'opposent parfois et lorsque de fortes présomptions de culpabilité existent, le devoir de protection peut engendrer des erreurs judiciaires. Comment prendre en compte l'incertitude de la culpabilité lorsqu'on a en même temps un danger réel à gérer ? Des verdicts et des sanctions intermédiaires entre culpabilité et innocence seraient-ils envisageables qui reconnaissent qu'un individu est peut-être innocent mais qu'on préfère l'enfermer parce que de fortes présomptions de culpabilité pèsent sur lui et par devoir de protection des citoyens ? Préférer le libérer, c'est préférer courir le risque de la récidive violente. Préférer le condamner, c'est préférer courir le risque de l'erreur judiciaire, donc d'une accusation qui fait la part belle au phénomène de bouc émissaire. Prendre en compte d'une façon ou d'une autre ce troisième terme, la "forte présomption" de culpabilité, et y associer des mesures adaptées ne permettrait-il pas de sortir de ce dilemme ?

Je ne fais que poser la question, encore une fois. La théorie mimétique étudie les phénomènes de bouc émissaire, et l'erreur judiciaire en relève, mais elle ne dit rien sur les moyens de les prévenir. C'est donc une réflexion personnelle que je livre ici, dans un domaine dont je ne suis pas du tout spécialiste.

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L'erreur judiciaire inverse au fait de condamner un innocent existe : innocenter et relâcher un coupable. C'est une autre forme de complicité avec la violence. Don Quichotte, par altruisme et esprit chevaleresque, libère des prisonniers enchaînés et ils finissent par le rouer de coups. Comme René Girard l'a fait observer lors de l'inauguration de l'École nationale d'administration pénitentiaire à Agen, Jésus a dit : "j'étais prisonnier et vous m'avez visité". Il n'a pas demandé absurdement au contraire à ce que tous les prisonniers soient libérés. Les prisonniers méritent une attention particulière : leur dignité doit être respectée. Et parmi eux, on le sait, certains sont innocents.

Martin
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